Forsberg était peut-être un voleur, mais il y avait des individus pire que lui dans les bas fonds qu'il fréquentait. Il y avait toujours pire que soit. A part peut-être Surin, l'assassin. Surin était un sale type. Il lui manquait une dent de devant, et ça le rendait plus inquiétant que ridicule. Surin, il fallait pas lui chercher d'embrouille, seulement voilà, le nain lui devait de l'argent à cause d'une stupide dette de jeu. Il était verni! Il se trouvait dans une ruelle sombre, une lame sous la gorge. L'assassin le soulevait d'un seul bras avec aisance, et commença à l'étrangler. Le long visage ténébreux qui ne souriait jamais s’était départi de sa glace. Ses yeux noirs ont brillé. Une voix douce comme le miel susurra à l'oreille du voleur :

Je te donne deux lunes pour me payer ce que tu me dois, après ça, je pourrais cocher ton nom dans mon livre des morts.

N'en menant pas large, le nain tenta tout de même de négocier, c'était dans sa nature d'avoir du bagout. Même face à un être comme Surin. Surtout face à des êtres comme lui. Sinon à quoi bon avoir ce don?

Écoute...te fâche pas ok? J'ai acheté une carte qui me mènera tout droit à une sépulture sacrée. Y'aura plein d'or là-bas. Mais le temps de faire le trajet, j'en ai au moins pour quatre jours!

Surin n’a pas réussi à choisir entre le rictus narquois et le renfrogné. Dans sa voix pointait une menace larvée.

Je te donne trois lunes. T'as intérêt à ce que ce soit pas encore un de tes coups foireux mon gars.

Surin laissa tomber le nain comme un sac de pomme de terre. Mais ce dernier se réceptionna avec une grâce étonnante. Tandis qu'il remettait son tenue de cuir en ordre, l'agresseur n'était déjà plus là.

Ça fait chaud au cœur de revoir les vieux potes

Marmonna-t-il dans sa barbe. Il était mal barré. Il n'avait aucune idée de comment il allait pouvoir réunir les cinquante pièces d'or qu'il devait. Il n'avait pas de cartes comme il l'avait affirmé, et il n'avait pas entendu parlé de travail bien rémunéré. En tous cas, pas pour un voleur de peu de renommée comme lui. C'était toujours pareil avec la guilde, plus on était haut dans l'échelle, et plus on gagnait. Les autres, ils pouvaient bien crevés. Les chances de changer de statut étaient bien maigres, sauf coup d'éclat.

Il chercha dans ses poches et y vit quelques piécettes qui à coup sûr, lui permettrait au moins de se saouler un peu. C'était toujours ça de pris. Il se dirigeait vers la première taverne que ses pieds courts mais lestes, pouvaient trouvés. Sur le chemin il croisa un chien. Un vieux cabot aux poils entièrement. Seul un macaron blanc à son œil gauche dépareillait avec le pelage couleur de ténèbres. Il était occuper à ronger un os. Le chien a émis un grognement étouffé à l'approche du nain. Celui-ci lui gratta entre les oreilles au passage, puis passa la porte de l'établissement. Combien d'auberges avait-il pu visiter ? Il aurait été incapable de le dire. Ses yeux noirs paraissaient braqués sur des rêves depuis longtemps envolés. Il se dirigea vers le comptoir, alors qu'il était accueillit par un brouhaha tonitruant. L'odeur d'alcool et de lard fumé lui emplit les narines dans un fumet savoureux qui fit gargouiller son ventre. Il prit place sur une tabouret, posa le sac qu'il portait en bandoulière sous lui afin de lui faire gagner quelques centimètre de hauteur.

Amenez moi une bonne bière, votre meilleure hein ? Pas du jus de pied qu'on vend aux sent-la-pisse.

Forsberg aimait les auberges. Souvent, elles prétendaient exister depuis l’aube du monde. Elle était l'héritage d'un oncle qui la tenait d'un cousin qui la tenait d'un ancien. Elles donnaient cette impression d’intemporalité, de convivialité. Bon, ça c'était vrai que quand il était bourré, parce que sinon, il trouvait plutôt que ça grouillait de soiffards qui ne sentaient pas la rosée. Contrairement aux préjugés qu'on pouvait avoir à propos de l'hygiène des nains, le voleur mettait un point d'honneur à prendre une bain régulièrement. Question de standing, vous voyez. Sans parler de ceux qui ne venaient, attendant la moindre excuse pour démarrer une bagarre. Quand ce n'était pas ces qui voulaient se prouver quelque chose ou essayer de se la jouer gros bras. Épée au clair, prêts pour la sale besogne. Il y avait de tout dans une auberge, du bon, du mauvais, et du très mauvais. Et tandis qu'il prenait place, une nouvelle mauvaise nouvelle tomba dans son oreille.

Dernier service et après je ferme!

Les Dieux d'Obelthas aimaient-ils lui plonger la tête sous l'eau dès qu'il commençait à relever le menton? Il maugréa dans sa barbe, et fit mine de ne rien avoir entendu. Oui, la mauvaise foi naine, ça il en avait hérité par contre. Forsberg se fendit d'un sourire qui se mêlait à sa barbe. Il répondit sur un ton tout aussi mielleux que celui de la Hobbite.

Ne m’appelez pas mètre, je mesure plus que ça!

Puis il entreprit de se lisser la barbe quand elle lui parla de Justin le brasseur. Il le connaissait bien entendu, en bon saoulard qu'il était. Mais il fit mine de fouiller dans ses souvenirs un moment avant de hausser les épaules.

Justin? Jamais entendu parler.

Puis il cracha dans le crachoir prévu à cet effet. A moins que ce n'eut été une récipient quelconque. Il n'en avait cure.

Mais j'ai qu'une parole. Je vais goûter et si j'ai tords, alors je m'excuserais devant l'assemblée ici présente.

Forsberg avait beau être content de sa performance d'acteur en tant que mauvais client – il n'avait pas vraiment à se forcer pour ce rôle – il n'avait pas envie de se mettre à dos celle qui pouvait lui servir à boire.

Il décida d'ignorer la manière tonitruante avec laquelle elle lui servait sa chope, ne prêtant aucune attention au tintamarre qu'elle était en train de faire. Mais il décida de repiquer au vif la Hobbite, par malice, et sûrement par gourmandise de la voir ainsi réagir au quart de tour. Il entendit sa question sur le pourquoi de sa venue, mais il décida de boire une gorgée de bière avant de répondre. C'est alors qu'il se nettoyait l'oreille avec son petit doigt qu'il cligna des yeux en apercevant la belette de compagnie de l'aubergiste qui venait vers lui.

Haaaa mais rentrez donc cette vermine, elle va nous filer des maladies ! Ou alors passez la dans une bassine par mesure de précaution !

Nul doute, la propriétaire des lieux allait piquer une colère sourde, voire même violente, et puisqu'il y avait déjà suffisamment de monde voulant sa peau dans ce vaste monde, il préféra calmer le jeu presqu'aussitot.

Pardonnez ma conduite, j'ai les nerfs à vifs en ce moment. Je suis venu dans cette contrée...

Alors il fit signe à la Hobbite de se rapprocher tandis qu'il faisait de même, et sur le ton de la confidence, il poursuivit son récit Dans l'espoir de tomber sur une ancienne mine gobelin dont ils auraient condamnés l'entrée en créant un éboulement avant leur départ. Vous n'en auriez pas entendu parler par hasard ?